LES TONTINES DANS LES PAYS EN DEVELOPPEMENT


SECTION 1: LE SECTEUR FINANCIER INFORMEL:


La mobilisation de l'epargne en Afrique, et plus generalement dans l'ensemble des pays en developpement, fait partie des preoccupations des institutions internationales, des hommes politiques, des banques, des universitaires...elle est devenue pour tous un des elements majeurs des strategies de developpement a mener dans les annees a venir.

Nombreux sont les pays en developpement a avoir eu recours aux capitaux exterieurs pour financer leurs activites. Durant la decennie 70, la dereglementation du systeme monetaire international et les excedents de petrodollars ont favorise cette attitude des pays en developpement. Ainsi, pendant longtemps ils ont neglige la mobilisation de leurs ressources financieres interieures.

Des lors, des politiques monetaires et financieres plus rigoureuses se sont mises en place, souvent a la demande des organisations internationales, mais elles n'ont pas fonctionne, et le niveau d'endettement de ces pays s'est encore accru pour atteindre des niveaux qui les mettaient bien souvent dans des situations tres difficiles. Une des mesures recommandee etait de privilegier des taux d'interet bas, mais celle-ci n'a eu pour effets que d'accroitre les differentiels de remuneration entre le credit bancaire et les taux pratiques hors du credit institutionnalise.

Ainsi, l'epargne n'etait plus mobilisee par le secteur financier officiel. Certains avancerent meme qu'il n'y avait pas d'epargne dans ces pays compte tenu du fait que celle-ci n'etait pas deposee aupres des banques. Mais cette hypothese n'est plus valable car on sait aujourd'hui que les populations des pays en developpement ont une forte capacite a epargner.

Depuis plusieurs annees maintenant, nombreux sont les economistes a plaider en faveur de la promotion de l'epargne des menages dans les pays en developpement. En effet, une epargne abondante et reguliere permet a un pays de parvenir a une croissance equilibree.

Mais, meme si on reconnait la capacite d'epargner des populations de ces pays, on s'inquiete toujours de trouver les moyens de faire servir cette epargne au developpement du pays, malgre la presence des banques commerciales dites encore banques de depots, des caisses d'epargne, des cooperatives de credit, etc...

En effet, comme nous l'avons vu, le systeme bancaire dans son ensemble a largement failli dans la tache qui etait la sienne: mobiliser l'epargne nationale.

Or, si les paysans, les ouvriers de la ville, les fonctionnaires, les commercants...tous capables de ne pas depenser chaque jour ce qu'ils gagnent, ne vont pas deposer d'argent dans les institutions modernes creees pour cela, c'est qu'ils en font autre chose.

Les travaux de ces dernieres annees ont montre l'originalite des attitudes et des comportements dans ces pays ou les banques n'ont pas cherche a s'adapter a la population. En fait, les individus s'organisent entre eux pour faire face collectivement a leurs besoins, pour se preter et s'emprunter les uns les autres au sein d'associations qu'ils constituent eux-memes.

De meme, ces travaux ont revele que l'epargne de ces pays etait essentiellement informelle, elle circule et tout particulierement au sein des tontines, encore appelees associations rotatives d'epargne et de credit, ou l'argent est mis a la disposition des uns et des autres.

Ce phenomene tontinier a pris une importance considerable depuis quelques annees, bien qu'il ait des origines lointaines. On parle desormais de finance informelle, par analogie avec l'economie informelle. On se trouve ici en presence d'un veritable systeme, parfaitement organise.

Cette notion de finance informelle est definie par Michel Lelart (1990, p 50) comme des mecanismes originaux qui permettent en effet de faire circuler la monnaie en contrepartie d'une accumulation temporaire des creances et des dettes. Ainsi, la finance informelle englobe tout mecanisme non officiel qui permet de faire circuler temporairement des creances et des dettes . La finance informelle regroupe donc l'ensemble des transactions effectuees, en marge des regles etablies, par des intermediaires non agrees et/ou non enregistres. Mais, on peut signaler que ces mecanismes ne sont pas dans la majeure partie des cas illegaux car bien souvent les autorites publiques les tolerent.

Il est aujourd'hui de plus en plus evident que le role des institutions financieres informelles dans la mobilisation de l'epargne interieure est plus important que nombreux le pensait. On peut expliquer la place importante des institutions financieres informelles dans les pays en developpement du fait de quelques caracteristiques particulieres qui les differencies des institutions financieres formelles. Tout d'abord, ces institutions ne son pas assujetties aux reglementations sur les taux d'interet, aux directives d'encadrement du credit ou a l'obligation de maintenir des ratios de liquidite specifiques. Ensuite, leurs couts en ce qui concerne les operations de prets et d'acceptation de depots tendent a etre plus bas que ceux des institutions financieres modernes du secteur formel. Elles repondent egalement a des besoins financiers qui ne sont pas satisfaits de facon convenable par les institutions financieres modernes. Enfin, ces institutions adoptent des regles et reglements, directement issus de la culture et des moeurs du pays.

Nous allons ici developper ces caracteristiques apres avoir vu quels sont les principaux intervenants du secteur financier informel. Nous nous attarderons ensuite a definir les avantages mais egalement les limites de cette finance informelle.

I) Les divers intervenants du secteur financier informel.

Il existe une grande variete de besoins financiers auxquels repondent, en partie, une multiplicite de mecanismes informels. On parle souvent des preteurs professionnels, mais de nombreux autres systemes existent, qui s'occupent de la plupart des transactions financieres informelles dans les pays en developpement. Certaines de ces methodes existent depuis des siecles, et d'autres evoluent au fur et a mesure que les contours de la societe et de l'economie se modifient. La finance informelle est tres flexible et tres creative.

On distingue generalement trois grands types d'intervenants au sein du secteur informel, dont l'une des caracteristiques les plus frappantes reside dans la grande diversite des liens qui peuvent exister entre les preteurs, les emprunteurs et les deposants.

Ces trois types sont les suivants:

Les preteurs individuels, qui pretent habituellement leurs propres ressources (bien qu'ils acceptent parfois les depots), on trouve: Les amis, les parents, les proprietaires fonciers, les preteurs ruraux, les fournisseurs d'intrants agricoles, les negociants, les marchands, les preteurs de marches paralleles urbains, etc.

Les groupements de personnes organises sur une base mutualiste, comme les associations rotatives d'epargne et de credit (AREC ou tontines), les chit funds, les associations informelles de credit, les organisations d'auto-assistance ou les fonds familiaux ou tribaux.

Les societes organisees en partenariat (exemple des preteurs sur gages ou des banquiers autochtones, surtout dans les pays en developpement asiatiques), de meme que d'autres intermediaires financiers non bancaires comme les societes de financement, les societes d'investissement, les societes de credit-bail et de location-vente. Malgre la structure corporative des trois derniers types d'etablissements et malgre le fait que leur activite soit reglementee par la loi, ils sont inclus dans le secteur informel car ils echappent, dans une certaine mesure, a la tutelle de la Banque centrale.

A) Les preteurs individuels.

Ceux-ci ont deux types d'activites: soit une activite de pret non commercial, soit une activite de pret commercial.

i)L'activite de pret non commerciale.

Les prets de nature non commerciale sont tres repandus car ils sont profondement enracines dans les traditions locales. Ils sont obtenus aupres d'amis, de parents ou de voisins, peuvent etre en espece ou en nature, et sont generalement accordes sans interet.

C' est une forme tres courante de finance informelle, que ce soit en nombre de transactions ou en valeur. Dans certains pays, ces credits representent la moitie ou plus des prets informels. Le montant de ces prets peut etre tres variable. La principale caracteristique de ces prets est leur reciprocite: il est en effet sous-entendu que l'emprunteur acceptera de fournir un pret au preteur a un moment quelconque du futur. Si les individus concernes ont un acces limite a d'autres formes de finance, la reciprocite peut etre un bon moyen de gerer l'incertitude et le risque, en etablissant et en renforcant des liens interpersonnels. Dans de nombreux pays en developpement africains, les prets entre agents d'une meme famille sont monnaie courante.

Mais les prets consentis par des amis, des parents ou des voisins ne sont pas toujours de nature non commerciale et souvent les taux d'interets pratiques ne sont pas differents des preteurs professionnels, tandis que la relation personnelle tient lieu de garantie.

Il existe cependant un certain nombre de facteurs qui peuvent limiter la possibilite d'obtenir un pret, qu'il soit avec ou sans interet. En effet, dans le cas de catastrophe naturelle, tous les habitants du village auront besoins de fonds pour les reparations et ne pourront pas alors aider les autres membres du village. De meme, la limite superieure est rapidement atteinte dans ce genre de prets qui sont de faible montant et doivent etre completes par des ressources en provenance d'autres sources informelles ou semi-formelles.

ii) L'activite de pret commercial.

Ici, les preteurs exercent une autre activite (entrepreneur, agriculteur) mais disposent d'un capital qu'ils peuvent preter a des tiers. Ces operations de credit informel de nature commerciale peuvent etre a base d'argent, de terres ou de biens marchands.

  • Les operations de credit a base d'argent dans le secteur informel sont generalement des preteurs professionnels mais parfois aussi des particuliers.

  • L'activite de pret a base de terres est le fait des proprietaires fonciers et des agriculteurs-preteurs.

  • Le credit a base de biens marchands revet des formes multiples et fait appel a une grande variete d'intervenants.

Cette activite de pret commerciale prend une place de plus en plus importante dans les pays en developpement du fait que la limite est vite atteinte sur les prets venants de la famille, des amis ou des voisins pour les menages ruraux ou urbains qui y ont recours.

iii) Les garde-monnaie.

Parmi les preteurs individuels, qui pretent donc leurs propres ressources, on peut noter que certains acceptent egalement les depots. Ces garde-monnaie sont en general des personnes ayant le sens des responsabilites. Ils offrent ainsi un lieu sur pour deposer des fonds. Dans la plupart des cas, ces depots ne rapportent pas d'interet, bien que certains donnent parfois des cadeaux ou rendent de menus services a leurs deposants. Le garde-monnaie peut utiliser les fonds deposes a sa guise et sans restrictions. Dans certains cas, les deposants pensent que les garde-monnaie leur rendent service en gardant leur argent. Le montant des depots de chaque personne est generalement peu eleve.

B) Associations mutuelles d'epargne et de credit

Les groupements de personnes organises sur une base mutualiste sont une autre forme d'activite financiere informelle. Ceux-ci fonctionnent selon des regles etablies d'un commun accord par les membres. Il existe essentiellement deux types d'associations informelles exercants des activites d'intermediation financiere: les groupements a seule vocation d'epargne ; et les groupements a vocation d'epargne et de credit.

Dans les associations du premier type, comme les associations a capital fixe et les clubs d'epargne, le but est d'offrir des facilites d'epargne a leurs membres qui ne peuvent acceder a des services d'epargne dans le secteur formel faute de sommes suffisamment elevees pour justifier l'operation bancaire. Les fonds ainsi accumules sont le plus souvent utilises pour un emploi specifique qui peut etre explicite ou non au depart.

La participation a l'epargne mutuelle repond aussi au souci de s'assurer une aide (en especes ou en nature) pour soi-meme et pour sa famille en cas d'urgence comme la maladie, le deces, l'accident, le vol, l'incendie, le chomage, etc.

L'autre type d'association mutualiste est le groupement a vocation d'epargne et de credit, dans laquelle la contribution reguliere de chaque membre au processus d'accumulation de l'epargne lui ouvre le droit de recevoir un pret de la part du groupe, credit qui, la encore, ne pourrait etre obtenu aupres des institutions financieres formelles. Parmi les exemples de ce type d'associations, on peut citer les mutuelles de credit informelles, les associations informelles d'epargne et de credit et les associations rotatives d'epargne et de credit (AREC) (ces dernieres seront etudiees dans le detail lors de la seconde section).

On peut egalement citer, a cote de ces dispositifs informels a vocation financiere, les organisations d'auto-assistance dans lesquelles les services rendus sont en nature : il s'agit d'associations de main-d'oeuvre journaliere, d'associations rotatives de travail, d'associations de travail non reciproque, ou de groupements temporaires.

La structure de base des associations mutuelles d'epargne et de credit dans le secteur informel est la meme : un groupe de personnes ayant un lien commun (famille elargie, amis, residents du meme village ou du meme quartier, salaries d'une entreprise, liens ethniques, etc.) se reunissent pour mettre en commun leurs ressources, quelle qu'en soit l'importance, afin de beneficier de facilite d'epargne et/ou de credit en vue de depenses qu'ils ne peuvent assumer par eux-memes ou pour s'assurer d'une assistance mutuelle en cas d'urgence. Parfois, l'objectif peut etre de contribuer a un projet de developpement communautaire. Les divers systemes qui peuvent exister se distinguent les uns des autres par les conditions d'adhesions, le nombre des membres, le montant et la periodicite des contributions, le mode de gestion, l'emploi des fonds, le mode de deboursement des prets, etc.

C) Les societes organisees en partenariat.

Celles-ci se retrouvent dans certains pays ou le secteur informel prend des formes plus complexes et plus evoluees, non seulement du point de vue de ses caracteristiques structurelles et operationnelles, mais aussi du point de vue de la place qu'il occupe dans l'activite financiere globale.

Le cas de l'Inde est le plus connu : A cote des activites d'epargne et de credit des preteurs individuels et des petits groupements, il existe toute une gamme de « compagnie » ou de « societes » qui, en depit de leur nom a consonance formelle, sont considerees comme faisant partie du secteur financier informel indien.

Le pret sur gages est une des formes les plus ancienne de societe organisee en partenariat. Certains preteurs sur gages exercent cette occupation a plein temps alors que pour d'autres, celle-ci n'est que marginale, leur activite principale etant le pret ou le commerce. Dans certains pays, et comme nous l'avons dit souvent en Asie, les bureaux des preteurs sur gages sont affilies aux banques.

Ces bureaux ont plusieurs caracteristiques: ils octroient generalement des prets pour de courtes durees, et resolvent les problemes de la garantie de facon peu couteuse en demandant aux emprunteurs de physiquement echanger un gage contre leur emprunt. Contrairement aux banques, aux preteurs et aux commercants, les preteurs sur gages n'ont pratiquement pas besoin d'informations concernant leurs emprunteurs sauf dans le cas ou ils craignent de recevoir des marchandises volees. Le preteur sur gage realise un benefice grace a l'interet percu sur le pret ou sur la difference entre le montant des prets et les recettes des ventes d'articles gages lorsque les prets sont defaillants.

II) Caracteristiques de la finance informelle.

Le secteur financier informel englobe donc l'ensemble des transactions financieres qui s'effectuent en dehors des reglementations imposees a l'activite du secteur financier formel en matiere de taux d'interet et d'allocation, du credit, de reserves obligatoires et d'autres mesures analogues. Les transactions financieres informelles echappent aussi a l'impot. On peut caracteriser le secteur informel par la souplesse des operations et des conditions de pret, ce qui lui confere un certain nombre d'avantages comparatifs economiques sur le secteur financier formel.

On peut en citer quatre par exemple:

  • Absence de conditions preetablies. En effet, pour participer a une de ces associations, il n'y a pas d'autorisation a solliciter, pas de demarches a effectuer, pas de garanties a apporter, pas de formalites a remplir, pas de delai a respecter. Dans les associations, les membres se donnent eux-memes leurs regles.

  • Absence de frais de gestion. L'administration est reduite au minimum ; quelquefois un cahier ou sont inscrits les noms et les sommes versees et rendues, le plus souvent rien. Les seuls frais sont les boissons qu'on achete avant chaque reunion de l'association. Il n'y a pas de local, les membres se reunissent chez les uns et les autres.

  • Absence de cadre fixe. Les associations peuvent regrouper quelques membres ou quelques centaines et durer quelques semaines ou plusieurs annees.

  • Absence de controle. Comme elles reposent toutes sur des relations personnelles, ces pratiques sont vecues quotidiennement par la population et, dans une large mesure, collectivement entre les membres de l'association.

D'autres points peuvent egalement caracteriser cette finance informelle:

  • La finance informelle est omnipresente dans les pays a faibles revenus. Elle se concentre le plus souvent dans les lieux ou s'effectuent des transactions commerciales portant sur des montants importants, notamment les zones urbaines, quel que soit l'etat de developpement des marches financiers formels.

  • Un grand nombre de pauvres participent a la finance informelle. Mais, les emprunts et depots informels sont tout aussi courant a l'interieur d'une classe sociale qu'entre differentes classes economiques. Les marches financiers informels sont d'une grande complexite et ne correspondent pas au simple cas de figure ou les riches pretent aux pauvres.

  • Les marches de finance informelle sont adaptes a l'environnement economique et social local. Ils sont durables et beaucoup representent des efforts soutenus. Si certaines formes de finances disparaissent, d'autres font leur apparition, et ceci aussi bien dans des pays ou les marches financiers formels fonctionnent efficacement que dans des pays ou les marches financiers formels sont fortement deprimes. Croire que la finance informelle disparait lorsque les marches financiers formels prosperent serait une erreur.

  • L'offre de pret n'est pas le seul service que propose la finance informelle, et l'opportunite de faire des depots est une composante importante de la finance informelle. Chaque unite monetaire qui circule sur le marche non officiel est le resultat de l'epargne d'une autre personne. Des prets informels de montants considerables correspondent a des epargnes financieres informelles de montants equivalents, et beaucoup de participants des marches informels sont la pour profiter des opportunites d'epargne que leur offre le systeme.

  • Sur les marches de la finance informelle, contrairement a ce que beaucoup pensent, il existe extremement peu de cas de profits resultant de situations d'exploitation ou de monopole. Les couts d'opportunite de fonds eleves, les couts de transaction importants, les risques serieux associes aux prets et le manque de solvabilite des emprunteurs semblent expliquer les taux d'interet eleves pratiques par une petite partie des preteurs informels.

  • Alors que la finance informelle a longtemps ete consideree comme un fleau pour les plus pauvres, il est reconnu desormais que nombre de pauvres beneficient de l'existence de ces marches financiers informels. Si parfois, certains emprunteurs de prets informels ont des difficultes a rembourser leurs dettes, la plupart d'entre eux realisent un profit net grace a leur emprunt, et le rembourse sans aucun probleme. Par ailleurs, les mecanismes informels constituent la principale technique d'epargne de beaucoup de pauvres et les revenus des prets representent une grande partie des revenus de certains pauvres.

  • On considere egalement que la finance informelle ameliore l'efficacite de l'allocation des ressources. Elle permet a des millions d'individus, d'entreprises et de menages des pays en developpement qui ont des fonds en surplus de les redeployer sous forme de prets consentis a d'autres individus et entreprises qui ont de meilleures opportunites economiques. Le resultat est une augmentation du rendement et de la formation du capital par rapport a ce qui se passerait si les marches financiers informels ne fonctionnaient pas ou ne pouvaient pas fonctionner.

  • Il semble que, dans de nombreux cas, la finance formelle et la finance informelle se completent plutot qu'elles ne se substituent l'une a l'autre. En effet, les depots informels aboutissent souvent dans des banques, et les fonds provenant des prets formels, lorsqu'ils sont depenses, circulent souvent via des reseaux informels.

Le credit informel revet donc differentes formes et il est present dans les zones urbaines comme dans les zones rurales. Les intervenants, nous l'avons vu, sont pour la plupart des individus, et les transactions reposent sur la confiance nee des relations personnelles entre preteur et emprunteur. Generalement, aucune garantie n'est exigee : la garantie d'une creance est assuree par la conduite passee de l'emprunteur en matiere de remboursement, la bonne foi personnelle et la pression sociale pour maintenir les versements, tandis que la souplesse au niveau des taux d'interet appliques permet au preteur de couvrir le cout d'opportunite des fonds engages et le risque de defaut de paiement. La paperasserie et la tenue d'une comptabilite complexe et detaillee sont egalement absentes.

III) Les avantages de la finance informelle.

La finance informelle est aussi presente dans les pays en developpement du fait qu'elle resout souvent des problemes que la finance formelle est dans l'incapacite de resoudre. Dale W Adams ( 1994, p 31) distingue six raisons pour expliquer cet etat de fait.

1) Le type de service rendu: ceux-ci sont extremement varies et montrent donc que meme les populations des pays a bas revenus sont demandeurs d'une large gamme de services financiers. Ils sont egalement tres differents de ceux des programmes traditionnels de credit. En effet, les depots, les prets de petits montants et les prets de petite duree constituent la majorite des transactions financieres informelles, services qui sont rarement offerts par les programmes formels de credit pour pauvres. On peut des lors en deduire que bon nombre de ces programmes traditionnels de credit offrent des services financiers inadequats.

2) Un systeme fonde sur la discipline: la finance informelle requiert de la part de ses participants un comportement hautement discipline. Les preteurs informels doivent s'auto discipliner pour epargner les fonds qu'ils preteront, et doivent egalement faire preuve de plus de discipline pour reunir les informations suffisantes sur leurs emprunteurs potentiels afin de preter cet argent sur la base de la solvabilite. Ce n'est qu'apres quelques annees que les preteurs informels sont capables de maitriser ces talents necessaires au developpement de leur affaire. Etant donne que la plupart des preteurs informels investissent des fonds propres dans leurs prets, ils considerent que le credit est un privilege et non pas un droit; et ils pensent que les activites de pret sont une transaction serieuse et non pas un jeu ou il s'agirait d'accorder des faveurs.

De leur cote, les emprunteurs informels doivent aussi faire preuve de discipline afin d'etablir et d'augmenter leur solvabilite aupres des preteurs informels ou des membres du groupe. La possibilite d'emprunt informel est un privilege qui n'est acquit bien souvent qu'apres de multiples etapes telles que: epargner avant d'emprunter, rembourser de petits prets avant d'en recevoir de plus important et toujours rembourser ses dettes pour maintenir l'acces a la finance informelle. Les resultats d'une telle discipline permettent de solidifier les relations professionnelles entre preteurs et emprunteurs, relations qui sont la base de marches financiers stables, surs et durables.

3) Epargne: L'echec de la plupart des systemes financiers formels a produire des services de depots seduisants n'en est que plus grand lorsque l'on s'apercoit des gros montants d'epargne qui font surface dans les marches financiers informels et qui indiquent donc une forte tendance a l'epargne volontaire. Cet echec a mobiliser formellement des depots s'explique par quelques facteurs: les banques rurales et les cooperatives n'acceptent pas de depots ; la plupart des depots rapportent des taux d'interet reels negatifs ; la plupart des banques centrales offrent des facilites de reescompte trop bon marche. Les systemes financiers formels qui devraient encourager la mobilisation de depots volontaires ont ete concus surtout pour distribuer des fonds bons marches, en provenance de gouvernements et de donateurs.

4) La reciprocite: la plupart des formes de la finance informelle impliquent cette reciprocite. Cette reciprocite s'applique d'une part, entre emprunts et depots, et d'autre part entre l'emprunteur et le preteur sachant que ces roles pourront etre inverses dans le futur si le preteur en a besoin. Ces reserves de credit, non utilisees, sont tout particulierement importantes pour les habitants des pays pauvres. Les programmes traditionnels formels de credit offrent rarement des lignes de credit ( ou plusieurs prets) durant une periode donnee, et ils ne fournissent pas non plus de credits d'urgence.

5) Les innovations financieres: La finance informelle entraine un certain nombre d'innovations financieres qui permettent de reduire les couts de transaction, et notamment pour les deposants et emprunteurs. Il est en effet tres etonnant de constater la rapidite avec laquelle la finance informelle peut innover dans le but de s'adapter a des conditions variables telles que l'inflation, la prosperite ou les problemes economiques. Comme nous l'avons deja fait remarquer, flexibilite et souplesse sont les deux caracteristiques majeures de la finance informelle. Meme si les marches financiers formels sont eux aussi innovants, ces innovations sont la plupart du temps mal utilisees car elles cherchent trop a eviter les reglementations. De plus, la finance formelle est souvent trop fragile et trop rigide pour pouvoir repondre de facon efficace a des changements economiques. Ce constat fait, on ne peut qu'encourager les dirigeants des institutions financieres formelles a mieux observer les innovations et evolutions de la finance informelle, et a essayer d'en imiter certaines.

6) Les couts de transaction: La finance informelle permet de maintenir des couts de transaction peu eleves pour les emprunteurs et les epargnants en apportant les services financiers aux endroits et aux moments qui conviennent a ses clients. A l'inverse, la finance formelle tend avant tout de reduire les couts de transaction de l'intermediaire financier et se preoccupe peu des consequences pour les deposants et les emprunteurs. Il est en effet assez rare que les clients des intermediaires financiers formels puissent venir faire leurs depots et aller chercher leurs emprunts a des heures qui leur conviennent.

On peut egalement remarquer que les intermediaires formels cherchent avant tout a cultiver leurs relations avec les sources de fonds importantes, c'est-a-dire avec les agents gouvernementaux, les employes des banques centrales et les employes des organismes donateurs, et que par contre, les emprunteurs et deposants de petites sommes sont bien souvent traites avec dedain. A l'inverse, les intermediaires informels se preoccupent presque toujours uniquement de maintenir des relations de qualite avec leurs emprunteurs et deposants.

IV) Les limites de la finance informelle.

On a donc vu que de nombreux points positifs semblaient caracteriser le secteur financier non officiel. Cependant, il ne faut pas croire que celui-ci est sans limites. On distingue en regle generale trois problemes auxquels se heurte le secteur financier informel.

-Absence de reelle intermediation financiere dans le secteur financier informel. On ne peut en effet comparer le secteur financier informel aux banques dans ce domaine. Il semble que les organisations informelles ne soient pas en mesure de remplir en meme temps les deux fonctions qui caracterisent un intermediaire financier, c'est-a-dire collecter des ressources courtes et transformer celles-ci en emplois longs pour financer les besoins de financement. En effet, si le secteur financier informel semble pouvoir acquerir de l'information sur les emprunteurs a moindres couts et maintenir la confiance des deposants, principalement pour les zones rurales, il ne semble pas pouvoir supporter le cout lie a la defaillance eventuelle des emprunteurs ( bien que ceci arrive rarement du fait de la pression sociale exercee par le groupe). Ainsi, les prets accordes dans le secteur informel seront surtout des prets a court-terme limitant ce risque de defaillance de l'emprunteur.

Cependant, de nombreux auteurs insistent sur la complementarite existante entre finance informelle et finance formelle. Le secteur formel serait specialise dans les prets de montants importants dans les zones urbaines, et le secteur informel serait specialise dans les prets de plus petits montants principalement en zones rurales.

-La finance informelle ne finance que tres peu l'acquisition de biens d'investissement. Le fait que les prets fournis dans le secteur financier informel soient de courte duree et souvent de faible montant interdit des operations de long-terme. Cependant, certaines tontines dans certains pays (en particulier asiatiques) encouragent les comportements financiers de long-terme de leurs membres.

-Le caractere usuraire des taux d'interet pratiques. Le fort taux d'interet pratique dans le secteur financier informel proviendrait de ce que le risque prit par les preteurs est plus eleve par rapport au risque prit dans le secteur formel. Il pourrait egalement venir du fait d'une disponibilite quasi-immediate des fonds dans le secteur informel. Mais d'autres facteurs semblent pouvoir expliquer le phenomene (mobilite geographique des emprunteurs et des preteurs, repression financiere, renforcement de la concurrence de la part des institutions informelles,...).

V) Conclusions sur la finance informelle.

Donc, c'est avant tout la souplesse qui caracterise la finance informelle. Les couts de transaction du secteur informel sont generalement peu eleves, et l'acces aux financements informels est relativement facile en comparaison avec le secteur formel. La souplesse des conditions et des operations de credit qui permet d'adapter les services financiers a des besoins specifiques, la rapidite de traitement des demandes de prets et, surtout, la volonte de traiter les petites sommes qui correspondent aux besoins et a la capacite de la majorite de la population font que les mecanismes informels sont mieux adaptes que les mecanismes formels aux besoins du milieu rural et urbain, dans lequel ils operent. Ceci explique aussi en partie que le credit informel soit plus repandu que le credit formel malgre son cout plus eleve.

La finance informelle, par le dynamisme qui la caracterise, est peut etre le point de depart qui permettra bien des mutations dans les pays en developpement. Les dynamiques les plus fortes viendront peut etre des tontines qui, comme nous allons le voire dans la seconde section est certainement la forme la plus evoluee, mais aussi la plus aboutie de la finance informelle. L'etude detaillee de ces tontines va nous montrer l'ampleur de ce phenomene et pourquoi il correspond bien aux mentalites de ces populations des pays en developpement.

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